En novembre, l’image de Susy Lagrange sur le thème « mémoire / traces / histoire »
(en lien avec le festival de poésie Bâton de parole) a été élue photo du mois.
Bonjour Susy, quelle est l’histoire
de ta photo ?
Cette photo est issue de mon exposition « Mémoire de Disparues ».
En partant du principe que la création
des arts plastiques s’est faite sur le besoin
de l’homme à vouloir conserver une réalité
vouée à disparaître, alors l’art a pour origine
la conservation dans laquelle réside donc
une portée funéraire.
À l’intérieur des multiples lieux abandonnés que j’ai parcourus, des rencontres surprenantes m’ont été données.
Chaque lieu garde en lui une histoire qui s’efface un peu plus à chaque intempérie.
Seules les chaises gardent la tête haute,
se redressant dans la décrépitude des lieux, rappelant aux curieux que la vie humaine
fût présente dans ces intérieurs.
Leurs ossatures nous rappellent des amis, leurs vêtements des passants, leurs postures des membres de nos familles…
Photographier ces chaises,
c’est photographier l’histoire d’un lieu.
C’est réaliser le portrait d’une personne, d’une mémoire.
Cette photographie est normalement accompagnée d’un poème gravé
à la découpe laser dans le support photographique.
Le souvenir est un élément de mémoire.
Il se forme en trois étapes, par le codage,
le transfert et la remémoration.
Ainsi les poèmes, propres à chaque photographie, représentent le processus subjectif qui crée nos souvenirs.
L’intervention d’une tierce personne
est une transposition du processus
qui est hors de notre contrôle.
L’écrivaine Annaëlle Ouari ne connaît aucune information sur le lieu de la prise
de vue. Son écriture se base uniquement
sur son imaginaire à la vue de
la photographie. De cette façon, elle crée
de toutes pièces une personnalité
et un souvenir, sans être influencée.
Ces récits représentent le mélange mental
qui s’opère entre le fait attesté
et celui inventé, entre la réelle mémoire
et l’imaginaire qui ont tissé des liens ensemble pour former un mythe.
Certains croient en la graphologie,
d’autres pas, mais une chose est certaine, chaque graphisme d’écriture
a sa personnalité.
Ainsi la création de typographie propre à chaque chaise, ne fait que renforcer la réalité de cet être qui nous conte un souvenir personnel.
Si le texte est d’une part un souvenir gravé
à jamais dans la photographie, d’autre part
il détruit par la même occasion l’image
du souvenir. La découpe de la typographie incarne les failles de notre mémoire.
Dans ce travail, j’interroge les limites
entre absence et présence.
Je ne fais pas « revivre les absents »
comme le dit Christian Boltanski,
mais au contraire je mets davantage
en évidence leur disparition.
Cette série a donné naissance à un catalogue d’exposition où l’on retrouve photographies et poèmes. Il est disponible à la vente
lors de mes expositions, également sur demande par mon site internet susylagrange.com ou sur mon Instagram @susylagrange où l’on peut voir une partie des photographies.
Où ta photo a-t-elle été prise ?
« Océan » a été réalisée en banlieue Lyonnaise dans une usine désaffectée
qui fabriquait des pièces automobile.
Les autres chaises de la série viennent
des quatre coins de la France, mais
toujours de lieux dénués de vie humaine.
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